San Jose, le 4 octobre 2001

Busherie musulmane ?

Commençons par la dernière blague en vogue. Qui a dit : "Les Etats-Unis sont plus forts que jamais" ?

Un expert du Quadrigone, bien sûr.

Pas le genre de réflexion que je peux me permettre d'émettre au bureau ces temps-ci... A ce propos, beaucoup de mes collègues ont leur petite idée en matière de riposte appropriée à mettre en oeuvre, suite aux attaques du 11 septembre. L'éventail des opinions est large. Je côtoie au quotidien les partisans d'une solution à la Rambo. Le scénario classique, quoi, qui le fait bien grave. On débarque, on leur butte la gueule et on se casse pour se faire médailler le plastron à Washington. Pas mal, comme solution, faut le reconnaître. Elle a le mérite d'être simple à expliquer. Je me suis cependant hasardé à demander des précisions supplémentaires sur l'identité des types à flinguer, leur position géographique, comment s'y prendre, etc. J'ai eu ma foi une proposition fort satisfaisante d'un collègue informaticien : "Ben, le truc idéal, ça serait d'atomiser à coup de bombes nucléaires tout le Moyen-Orient." Je lui ai promis de transmettre la suggestion à notre Président de la République, tout fier d'avoir récemment grillé au poteau Tony Blair dans la course consistant à arriver le premier à New York après les attentats. Je digresse, mais les médias américains parlent un peu de la France ces temps-ci, de notre expérience en matière de Plan Vigipirate, par exemple.

Et puis, on trouve d'autres personnes au jugement plus mesuré, qui ont passé le stade de la réaction naturelle consistant à vouloir frapper aveuglément, par réflexe, dans la poire du présumé coupable. Beaucoup de ces gens, mine de rien, réfléchissent à la forme que pourrait prendre une réponse raisonnable à l'agression du 11 septembre. J'ai même croisé quelques peace patriots en faveur d'une politique pacifiste. Mais avouons-le, personne parmi les modérés n'a encore trouvé de solution satisfaisante à la crise.

Du coup, la balance dans l'opinion publique et dans les gouvernements penche probablement vers une stratégie façon Rambo allégé, avec des frappes chirurgicales et high-tech. Enfin, je suppose.

Les gens s'expriment en tout cas, quelle que soit leur origine : Afrique du Sud, Inde, Cameroun, Chine, etc. Et, chose remarquable, ils font front commun sur un point : la défense des valeurs américaines (dont certaines sont admirables et d'autres franchement méprisables, mais c'est un autre débat). Tout le monde se sent un tant soit peu américain.

D'où la prolifération délirante de drapeaux. On voit des bannières étoilées partout : sur les bureaux, les pare-chocs, les façades, etc. A un point tel que plusieurs sociétés chinoises de textile ont décidé de stopper la production de drapeaux chinois - franchement, vous connaissez beaucoup de gens qui veulent un truc pareil ? - afin de ne se consacrer qu'à la fabrication de la bannière étoilée. Un vrai business, mon fils, y a pas de petits profits.

Cependant, évitons la méprise : l'agitation frénétique d'un drapeau aux Etats-Unis ne revêt pas le même sens qu'en France. Les Américains ne sont pas vraiment nationalistes. Le nationalisme, c'est bon pour les Anglais et les Basques. En revanche, ils font preuve de patriotisme, parfois d'une façon un peu romantico-lyrico-couillonne, c'est entendu. Souvenons-nous par exemple du magnifique discours à la fois beau et débile prononcé par le Président du film "Independence Day". Et puis, dans le fond, la bannière étoilée, c'est le point commun de tous ces Mexicains, Chinois, Blancs, Noirs, etc. Bref, de tous ces Américains vaguement hétérogènes. Enfin, le drapeau symbolise depuis peu l'hommage collectif rendu à la mémoire des victimes des attentats, à l'image du ruban contre le SIDA qu'on voyait sur toutes les vestes en jean, dans le temps, dans les lycées.

Et Bush dans tout ça ? Comment se défend-il, Giorgio les neurones ? Eh bien, pas si mal que ça jusqu'à présent, en tout cas. Il n'a pas cédé à la tentation de la riposte immédiate et aveugle (ses ardeurs guerrières initiales auraient été tempérées, paraît-il, par Tony Blair). Plutôt que de taper de suite, il s'est plutôt consacré à la remise sur pied d'un pays mis KO en une matinée. Il a multiplié les visites à New York et ailleurs pour remonter le moral des citoyens. En outre, l'absence de représailles immédiates permet à certains de réfléchir un peu, sur le monde, l'Occident, l'Orient, tout ça... Enfin, seulement à certains, n'exagérons rien. Des bourrins en profitent justement pour surenchérir sur les valeurs matérialistes américaines à la con : "Achetez des actions, faites-vous plaisir, il est temps de se payer une troisième voiture, mais consommez nom d'une pipe, c'est pour l'Amérique, pour la liberté...". Mouais, mouais, si tu ne consommes pas, tu ne vis pas, understand ?

Cela dit, tout ce temps passé sans frapper l'Afghanistan est évidemment mis à profit par les forces militaires des Etats-Unis et de ses alliés pour nous mijoter un petit plan aux oignons dont nous verrons les conséquences plus tard.

Dernier point marrant, W s'est un peu fait voler la vedette par Rudy Giuliani, le maire de New York, qui en un éclair est passé de la catégorie "hyper pro-flic limite facho" à celle plus consensuelle de "Jésus Christ compatissant, leader avisé du bon peuple dans la tourmente".

Enfin bon, la roue tourne et l'Occident vaincra, n'est-ce-pas ?

Dans le fond, ce qu'il manque à ces Afghans, c'est juste une troisième voiture et des stock options.

Adresse : pierre_gilet@hp.com

Oh please, drive me back home.