San José, le 9 mars 2002

Les militaires sur le grand écran

Avouons-le, l'inspiration me vient avec difficulté ces temps-ci. Que raconter de beau ? Que Bush Jr. est un grand dadais à la rhétorique inspirée des dialogues de "La guerre des étoiles" ? Bof, tout le monde le sait, pas besoin d'en rajouter.

Tiens, puisque l'armée jouit d'une cote de popularité élevée dans ce pays, voici venu le temps de se remémorer un grand film à la gloire des militaires américains, ces héros de la démocratie, que dis-je ? ces hérauts du Monde Libre. La cérémonie des Oscars se profile à l'horizon, les studios de Los Angeles sombrent souvent dans la complaisance pro-bidasses, alors raison de plus pour parler de cinéma. A ce propos, le dernier film potable sorti de Hollywood remonte désormais à pas mal de temps. En deux ans de présence ici, nous n'avons globalement assisté qu'à des sorties de bouses fumantes : films pour ados avec jupes "ras la moule" et bisous en pagaille, comédies familiales plan-plan, spectacles de guerre ou de baston où le plus fort gagne à la fin ; en plus, coup de bol, c'est aussi le plus gentil. Enfin, vous voyez le genre.

Quelques exceptions heureuses subsistent, parmi lesquelles on citera "Memento" (film indépendant), "Muhlholland Drive", "Traffic", voire "Ocean's Eleven" et "The Lord of the Rings" ("Le seigneur des anneaux"). A ce propos (je digresse encore...), il s'avère difficile de discerner clairement les bonnes oeuvres parmi les nombreuses daubes tièdes constituant la majorité des sorties en salle. En effet, les bandes-annonces tendent à présenter les films en avant-première d'une même consternante façon. Une voix masculine au timbre forcé vous avertit en grande et ridicule pompe qu'un effroyable "danger is coming", que "you ain't seen nothing yet", et qu'enfin Bidule a donné à la télé un vibrant "two thumbs up" en faveur de l'oeuvre... Bref, le spectateur potentiel se retrouve sous le feu de mille boniments rivalisant de couillonneries sensationalistes, qui, à l'arrivée, le mettent à distance des éventuels bons films.

Je me suis aussi rendu compte ici à quel point mes capacités critiques ont été conditionnées par la lecture de canards comme Le Monde, Libé, Télérama, Les Inrocks, etc. Et par l'écoute du "Masque et la Plume". Se faire un avis vraiment personnel sur, mettons, "Le fabuleux destin d'Amélie Poulain" se révèle, dans le fond, une tâche ardue. Tout a été dit à propos de cette comédie, on a même eu droit à une petite polémique lancée dans les pages de Libération par un journaliste des Inrockuptibles. Résultat : en réponse à la question "que penses-tu du film ?", je régurgite les bons mots glanés au cours de la lecture des journaux sus-cités.

L'autre jour à la radio, John Savage (un animateur excité très à droite, rigolo à écouter à doses homéopathiques et au second degré) fustigeait les médias "gauchistes" américains, responsables selon lui du conditionnement de la pensée des gens. Notons au passage que Savage assimile la Silicon Valley, qui vote traditionnellement en faveur des Démocrates, à une terre infestée par le virus communiste... Il compare aussi régulièrement la chaîne CNN (dont la rédaction penchait en faveur d'Al Gore en 2000) à un outil de propagande piloté par des sales petites fourmis rouges conspiratrices. Voilà qui donne une bonne idée du bonhomme et de ses grandes qualités de comique. Cela dit, ses réflexions sur le conditionnement de la pensée se révèlent partiellement exactes. Par exemple, l'an dernier, un critique sérieux de l'hebdo local "Metro" descendit méchamment le film "The Yards". Outre-Atlantique, le journaliste de Libé chargé d'en parler s'enflamma à propos d'une grande oeuvre accouchée par le cinéma indépendant américain. Bon, et moi alors, que dois-je en penser au final ? C'est une daube ou un chef-d'oeuvre ?

Mais, revenons à l'évocation de cet admirable long métrage honorant les forces armées américaines dans leur juste combat contre l'"Axe du Mal", cette formidable calvacade lyrique censée, à l'origine, convaincre les ados US de signer illico-presto pour de joyeuses années formatrices au service de l'Oncle Sam, j'ai nommé... "Top Gun", of course !

Raah, en v'là du bon spectacle. Vraoum ! tacatacata ! pschouit ! où il est passé le Ruskoff, roger papa tango ?

En matière de ciblage, le film, diffusé pour la première fois en 1986, rata franchement son coup. Il acquit rapidement le statut d'objet culte dans les diverses communautés homosexuelles du pays. A un point tel que tous les bars du Castro (quartier homo de San Francisco) se remplirent jusqu'à la démesure de sosies de Tom Cruise en lunettes noires et veste de cuir. La promo pour l'armée de "Top Gun" se trouva ainsi reprise à son compte par une communauté homosexuelle facilement portée sur l'interprétation au second degré de messages à teneur ultra-virile. Un tel échec marketing force l'admiration (enfin, tout est relatif ; le film obtint un grand succès au box-office). Les producteurs auraient dû se méfier quand même. En effet, la vision de Tom Cruise, de Val Kilmer et de leurs potes en petits slips moulants évoquant, en sortie de douche, leurs cabrioles aériennes en jargon papa-tango-zoulou aurait normalement dû mettre la puce à l'oreille des grands pontes de Hollywood. Mais ces derniers restèrent insensibles au charme suave de ces grands dadais, mignons tout plein à parler de leur beau manche à balai et de leurs pirouettes en altitude. Les pédés de San Francisco et d'ailleurs, eux, ne s'y sont pas trompés !


Tom Cruise dans sa période "Village People"

"Top Gun" s'avère sans conteste un film réjouissant. Les Russes (les méchants d'alors) ressemblent à des robots sans âme, l'officier responsable du porte-avion ricain est un bon gars franc du collier qui aime ses hommes (tiens, tiens, c'est pas louche, ça ?), enfin, Tom Cruise et ses collègues jouent merveilleusement leur rôle de grandes fofolles de l'air. Le tout, sur un fond musical irréprochable : "Take My Breath Away", "The Danger Zone", que de la pure soupe étincelante. Et n'oublions pas de souligner le jeu sans faille des Ray-Bans de Tom Cruise.

Voici donc un navet hautement recommandable qui vous fait aimer l'armée du pays le plus fort du monde. A redécouvrir avec plaisir en ces temps incertains. A revoir également (pour les soirées sérieuses) : Apocalypse Now (la version "Redux" est admirable) et "Three Kings" ("Les rois du désert"). Bon, j'y retourne. Vas-y, Tommy chéri, pête-leur la tronche à ces Russes tout moches !


Allume-cigare américain

Adresse : pierre_gilet@hp.com
Oh please, drive me back home.