Stuttgart, le 25 janvier 2004


Stuttgart
sous les bombes

On a appelé ça un "chouscous". Le problème tient en quelques mots... On ne trouve pas facilement de merguez à
Stuttgart, comprenez ? Alors, on innove... On fait dans le mariage... Le meilleur de l'Alsace et de l'Allemagne (les saucisses de la choucroute) associé aux saveurs piquantes du Maghreb (la semoule, les légumes assaisonnés de harissa). Résultat : le chouscous. Roland et moi-même savourons le produit final né de cette heureuse alliance... Pas mal pour un réveillon de fin d'année. Elisabeth et Sonia optent pour un choix certes moins innovant, mais qui donne satisfaction à coup sûr : l'escalope de veau à la crème et aux champignons.

On mange, on boit, on mange... Et la télé, alors ? Quoi de neuf à la télé ? On zappe sur TV5... Ca sent la routine. Les responsables de l'émission de la Saint-Sylvestre ne sont pas du genre à inventer le chouscous. Ils nous diffusent un machin enregistré à la mi-octobre, avec Delarue au micro. Avec un peu de bol, s'ils ont mal calé leur bande, ils vont décompter "10, 9, 8,..." deux minutes avant minuit. Et après, zou ! le traditionnel reportage (filmé en 1982) sur le Crazy Horse, les petites femmes de Paris à moitié à poil dans les loges... Avec les commentaires émus de Lova Moor.

Tiens, ça commence à péter dehors... On tend une oreille... On abandonne TV5... Tous à la fenêtre. Le ciel se colore de ci, de là... Des feux d'artifice lancés par des gens, dans la rue. Au début, ça reste plutôt calme. Petit à petit, le ciel se colore... Des taches diffuses éclaboussent les cumulus qui couvrent la ville. Le spectacle prend de l'ampleur... 23 heures 59... Déjà, la ville entière est sous les bombes. De partout, ça pète, ça tonne... Une vraie palette de peintre là-haut. On distingue des silhouettes sur les toits des immeubles. Roland et moi-même prenons conscience qu'on est planté tous les quatre depuis 5 mn derrière une fenêtre située juste en face de
celle de la voisine... Laquelle se trouve à moins de 10 m de nous, dans son appartement. Elle est blonde, le type nordique, mignonne, bien sous tous rapports... Célibataire, aussi. Et ce soir, sur la table, les chandelles sont mises. Ayayaïe ! le grand jeu... Le diner est terminé... Elle passe dans les bras d'un type un poil grassouillet... Ils se pelotent un peu, il y a du contact... Et nous, ça fait donc 5 mn qu'on a la tête collée à la fenêtre, à deux pas du couple en action... Histoire d'éviter l'embarras, on se replie sur une autre fenêtre, donnant sur la Bismarckstrasse, avec vue plongeante en direction du centre-ville. En haut, le ciel est tapissé de lumière, ça tonne comme mille orages. En bas, le plancher des vaches remue pas mal non plus. Des gens se tirent dessus à coup de roquettes pétaradantes et se planquent derrière les voitures garées. Des queues de comète fusent dans tous les sens... On se canarde de partout... Une fusée vient s'écraser contre un "Vélux" tout proche, sur notre gauche. Un odeur de poudre envahit la rue. Ca y est, c'est minuit... Les bises... braoum !... le champagne... re-braoum !... Ca va braoumer comme ça jusqu'à la demie.

Chez les petits vieux, les souvenirs d'antan doivent remonter à la surface, avec toutes ces déflagrations... Roland, qui a bossé pour "Action contre la faim" (quand on goûte aux plats qu'il nous mitonne, on se dit que le destin fait bien les choses), me raconte qu'il manque l'odeur du sang... Et que les AK-47 font plutôt "ta-ta-ta"... Des rafales de 3 coups secs. Sinon, dans l'ensemble, les pétarades, les cris des types en bas, c'est plutôt convaincant. On ferme les yeux et on s'imagine à Los Angeles, à Freetown, en pleine émeute... Bon, c'est entendu, c'est du frisson bon marché. A Freetown, en plein émeute, je suppose qu'on ne resterait pas sagement à la fenêtre, le champagne à la main, en train de regarder une fusée percuter contre la fenêtre d'à côté. 

Boum!... Braoum!.. Si je voulais reconstituer fidèlement la réalité, mon texte serait truffé de "braoum", tous les deux mots en moyenne. Même au FLNC, ils n'ont jamais rêvé d'autant d'explosions à la fois. C'est le bon moment pour régler ses comptes entre amis. "T'as pas voulu me rembourser ?" Braoum!... "T'as couché avec ma femme ?" Braoum!... Boum ! Allez savoir si l'un des "braoum" ne cache des détonations plus suspectes.

Et toujours dans le souci de relater fidèlement les faits, ajoutons-y de la couleur. Du bleu... jaune... rouge... vert... splaoutch !... qui s'étalent contre les nuages.

Le plus... braoum !... étonnant dans tout ça... boum !... c'est que... braoum !... ni Madeleine, ni... blam!... Clémentine ne se réveillent, au milieu de... BRAAAAM !... (la vache ! il a claqué juste à côté, celui-là)... tout ce vacarme.



Le lendemain... Frisquet... Fini les couleurs dans le ciel... Du gris, c'est tout... Le début d'un mois que, généralement, personne n'aime bien. Le trottoir, la chaussée sont jonchés de douilles de pétard rouges, imbibées d'eau. Elles commencent à pourrir tout doucement dans la neige fondue.



Adresse : pierre.gilet@hp.com.
Oh bitte, fahr mich nach Hause.