Tamikrest de retour au Labo

Les Touaregs de Kidal sont remontés le neuf décembre sur la scène du Laboratorium à Stuttgart, à l’occasion de la récente sortie de leur deuxième album Toumastin. Ils ont joué d’abord leur desert blues pendant une heure environ dans un style assez planant et méditatif, puis enchaîné après la pause un set d’une heure supplémentaire, cette fois-ci beaucoup plus funky et remuant, que le public a très apprécié. Ousmane, le leader de Tamikrest, a déclaré aux spectateurs ravis que le groupe était particulièrement content de revenir au Laboratorium, dont la scène est chère à leur cœur, car c’est là qu’ils se produisirent l’an dernier pour la toute première fois en terre européenne. Après le concert, les membres du groupe traînaient tranquillement dans la salle ; certains discutaient avec des gens du public alors que d’autres s’affairaient à ranger les instruments de musique. Nous avons bavardé un peu avec l’un d’entre eux à propos de leur tournée en Europe et de leur région située au beau milieu du Sahara. Pour en savoir un peu plus sur la belle musique de Tamikrest et la situation pas très réjouissante des Touaregs du nord du Mali, il est possible de lire une interview d’Ousmane Ag Mossa – qui me fait irrésistiblement penser à Bob Marley – publiée dans les Inrocks à cette adresse-là. Les lecteurs de feu Best se souviendront peut-être de ce magazine de rock, qui cessa de paraître en 1995, à la lecture du nom de l’excellent journaliste qui a mené l’entretien.

Luca, Flo, Johannes et Sadna

Après que le groupe a plié bagage, Flo, Luca, Johannes, Sadna (orthographe non garantie !) et moi-même sommes restés au Labo, histoire de s’assurer que nous n’allions pas mourir de soif ce soir-là et de vérifier que tout le monde allait bien libérer les lieux à l’heure de la fermeture. Nous nous sommes acquittés de cette rude tâche avec brio.

Dirtmusic & Tamikrest

Tent Sessions (Dirtmusic/Tamikrest)

Dirtmusic & Tamikrest

Jeudi dernier, nous sommes allés voir et écouter les musiciens de Dirtmusic et Tamikrest au Laboratorium, une petite salle à deux pas de chez nous, dont la scène est à peine surélevée par rapport au public. Rôôôh, c’était drôlement bien ! On a pu échanger quelques mots avec les artistes après le concert, notre camarade Flo profitant de l’occasion pour se faire signer des autographes sur les bras. Les membres de Tamikrest sont pour l’essentiel des Touaregs de Kidal, localité sise dans le nord du Mali. Ils ont pas mal bourlingué au gré des troubles qui secouent leur région, certains d’entre eux ont notamment officié dans l’armée libyenne si je ne me trompe. Ils jouent désormais une musique que l’on pourrait qualifier de blues touareg électrifié. Leurs costumes traditionnels leur confèrent sur scène une belle allure de princes du désert. La choriste au visage de craie (blanchi à l’aide de je ne sais quoi) avait un maintien particulièrement noble et majestueux, très classe. Les Australo-américains de Dirtmusic ne sont pas en reste en matière de présence scénique. Ils puisent visiblement leur inspiration dans le blues du Delta et le rock indépendant US, plus particulièrement dans sa version urbanisée new-yorkaise (Velvet Underground & co.), et me font penser à des cousins de Kat Onoma. On a affaire à des gars autour de la quarantaine ayant déjà pas mal d’heures de vol au compteur, qui savent en imposer et créer des belles ambiances musicales.

Les deux groupes firent connaissance il y a quelques années à la faveur d’une heureuse et fructueuse rencontre qui eut lieu au festival Au Désert, à Essakane au Mali. Tout ce petit monde-là s’est promis par la suite de collaborer ensemble en studio et sur scène, et a fait dès lors résonner dans la salle du Labo les accords du desert blues, en entrelaçant les idiomes du blues et du rock à ceux de la musique traditionnelle du nord du Mali.

Tiens, ça m’a redonné envie de gratter (de torturer ?) les cordes de ma guitare (je ne sais pas s’il s’agit d’une bonne nouvelle pour le reste du monde).

N. B. : J’ai eu vent de l’existence de Dirtmusic et Tamikrest grâce à l’émission L’Afrique enchantée diffusée sur France Inter.

Pour en savoir plus :

Pour les oreilles, les albums suivants (disponibles sur Amazon, FNAC et cie.) :

  • BKO de Dirtmusic,

  • Adagh de Tamikrest.

La démocratie chinoise pour 20 millions de dollars

Chinese Democracy des Guns n Roses, sorti en novembre 2008
Chinese Democracy des Guns n Roses, sorti en novembre 2008

J’ai pas encore écouté le dernier Guns en entier, juste un morceau ou deux. Au moment où j’écris cette phrase, Tannhäuser commence à peine de tonner dans les enceintes, va y en avoir pour 3 h 15 mn de cavalcade héroïque. Peut-être qu’il n’est pas super le dernier Guns en fait, mais peu importe, j’aime déjà cet album sans l’avoir écouté. En ces temps de crise, de sévère nervous breakdown globalisé, alors que les services des ressources humaines de toutes les boîtes du monde entier annoncent d’un même souffle glacé à leurs employés qu’ils sont formidables, qu’ils n’auront pas d’augmentation, que même pour le papier toilette, on n’est pas certain d’avoir le budget l’an prochain, que de toute façon, faudra virer 30% du personnel, ah ! et puis au fait, c’est vacances obligatoires prolongées pour tous à la fin décembre, y a pas le choix, mais réjouissez-vous, on aime vous voir de temps en temps vous consacrer à votre famille, c’est si important la famille, et bien sûr, last but not least, joyeux Noël, hein, et consommez, consommez pour nous sauver du gouffre ! (détail marrant, même en temps d’euphorie économique, les RH envoient généralement à peu près le même message en fin d’année) - en ces temps de crise, donc, et de retours sur investissement calculés aux petits oignons ric-rac par des gusses fiers d’ajouter à leur signature de courriel du bling bling honorifique du genre “PMP” (Project Management Professional) ou “Master en business chose” pour signifier l’obtention d’un clinquant diplôme à la mode octroyé par une quelconque business school en vogue moyennant espèces sonnantes et trébuchantes – vanitas vanitatum, omnia vanitas – bref, en ces temps où faut faire attention avec l’argent, celui qui n’a pas encore disparu d’un fatal coup de baguette magique à Wall Street, voilà un artiste, Axl Rose, leader/penseur/dictateur du groupe Guns n’ Roses , avec sa réputation de dérangé niveau Ligue des Champions, souffrant, à ce qu’on prétend, de pychose maniaco-dépressive (on appelle ça un “trouble bipolaire” de nos jours), voilà un type donc qui a fait cracher à la sociéte Geffen Records, sa maison de disques, 13 millions de dollars au bassinet… pour un album qui bon an mal an aura pris 14 années à être complété, ficelé et publié !

Axl est paraît-il très attentif au moindre détail dans son travail, un obsédé grave de la perfection, voyez-vous… Alors, pour faire du bon boulot convenable, eh oui, ça prend bien 14 ans de frais de studio, avec pléthore de musiciens et producteurs embauchés puis virés. Dans la jaquette intérieure du disque, la liste exhaustive des collaborateurs au projet est longue comme le bras. 14 ans de tergiversations, de tension, de calme relatif, de disputes, de combat, de progrès, de recul, de bruit, de repli, de mutisme, avec un peu de musique enregistrée et mixée de temps en temps. Un long accouchement sans péridurale. Axl qui n’est pas pingre a même sorti 7 millions supplémentaires de sa propre poche pour sauver le projet du naufrage complet au moment où les pontes de Geffen Records sentaient confusément, mais vraiment confusément, juste une vague impression furtive, qu’ils étaient en train de financer un Titanic rock ‘n’ rollesque. Ca me le rend sympathique, Axl, son côté folie des grandeurs à la Howard Hughes. Dans le fond, il a l’air de s’en foutre royalement du fric, c’est un artiste, un poète, un vrai. Un homme qui a berné des zozos en costard diplomés de business schools - qui leur a extorqué 13 millions de dollars ! - celui-là est un sage à sa façon, non ?… un peu comme Lou Reed qui en son temps réussit à convaincre sa maison de disques de financer un double album de bruit informe produit par des guitares jouant seules, posées près d’énormes amplis, le tout avec le volume poussé à bloc. Axl a bille en tête son projet, son oeuvre, le grand oeuvre, l’obsession d’une vie, une maladie sérieuse qui ne le lâche pas, peu importe le prix, peu importent les années, la souffrance, les blessés, les morts. Vu qu’Axl est troublé bipolaire, de toute façon rien de sérieux ne peut se concevoir à ses yeux sans douleur infernale, enfin je suppose… A la fin, seule l’Oeuvre compte, de celles dont sont capables ces Américains qui voient grand, trop grand, jusqu’à l’absurde et la chute. Mais, ce sont ces Américains-là dont on parle encore bien des années plus tard… tiens même, certains d’entre eux, on les aime, on les craint aussi… des barrés baroques, de la chair à histoires ces gens-là, qui font les Etats-Unis, un pays où l’on fait beaucoup d’histoires.

En plus, question rentabilité et perspectives d’avenir de ce projet enfin abouti, maintenant faut voir… L’album sort en CD à une période où tout part en sucette, c’est la crise, financière, mondiale, globale… et 14 ans plus tard, tout le monde télécharge désormais illégalement sa musique au lieu d’acheter ces bons vieux CD. Et puis, le titre de l’oeuvre… Génial, le titre ! Chinese Democracy. En conséquence de quoi, le gouvernement chinois a sans surprise banni l’album de l’Empire du milieu. Tout le marché chinois perdu, envolé, pfuit !… Des milliards de consommateurs ! C’est pas la classe, ça ? C’est pas rock ‘n’ roll ?… TOUT LE MARCHE CHINOIS ! Ils oseraient pas faire pareil chez Google, Total et autres multinationales sur le qui-vive, pétochardes dès qu’on sussure le mot “Chine” à leur oreille tremblante, courtisanes cupides rivalisant de tapis rouges, ronds de jambe, champagne et petits fours dans les ambassades et salons commerciaux de Pékin, Chang-hai et tutti quanti. Axl lui s’en balance de ces foutus motherfuckers de pseudo-cocos ultralibéraux du gouvernement chinois et de ses parts de marché envoyées à dache.

Résultat: aux dernières nouvelles, l’album (qu’il va bien falloir que j’écoute un jour ou l’autre) ne cartonne pas autant que prévu. Bon, une évolution plus heureuse n’est pas à exclure, mais pour le moment, les experts en marketingue de Geffen Records ont calculé dans Excel les bénéfs prévus, et là ils font grise mine, particulièrement parce qu’Axl n’a pas participé à la promo de l’objet. Visiblement, y a pas eu de plateau télé, pas de sempiternelle question débile posée entre deux pages de pub : “Alors Axl, quelle est votre actualité ?” Sa dernière conf de presse date de 1994 ! Sur le site de Wikipédia, il est écrit qu’il n’a pas donné de signe de vie depuis au moins deux mois, il ne répond pas aux coups de fil, rien.