- Chinese Democracy des Guns n Roses, sorti en novembre 2008
J’ai pas encore écouté le dernier Guns en entier, juste un morceau ou deux. Au moment où j’écris cette phrase, Tannhäuser commence à peine de tonner dans les enceintes, va y en avoir pour 3 h 15 mn de cavalcade héroïque. Peut-être qu’il n’est pas super le dernier Guns en fait, mais peu importe, j’aime déjà cet album sans l’avoir écouté. En ces temps de crise, de sévère nervous breakdown globalisé, alors que les services des ressources humaines de toutes les boîtes du monde entier annoncent d’un même souffle glacé à leurs employés qu’ils sont formidables, qu’ils n’auront pas d’augmentation, que même pour le papier toilette, on n’est pas certain d’avoir le budget l’an prochain, que de toute façon, faudra virer 30% du personnel, ah ! et puis au fait, c’est vacances obligatoires prolongées pour tous à la fin décembre, y a pas le choix, mais réjouissez-vous, on aime vous voir de temps en temps vous consacrer à votre famille, c’est si important la famille, et bien sûr, last but not least, joyeux Noël, hein, et consommez, consommez pour nous sauver du gouffre ! (détail marrant, même en temps d’euphorie économique, les RH envoient généralement à peu près le même message en fin d’année) - en ces temps de crise, donc, et de retours sur investissement calculés aux petits oignons ric-rac par des gusses fiers d’ajouter à leur signature de courriel du bling bling honorifique du genre “PMP” (Project Management Professional) ou “Master en business chose” pour signifier l’obtention d’un clinquant diplôme à la mode octroyé par une quelconque business school en vogue moyennant espèces sonnantes et trébuchantes – vanitas vanitatum, omnia vanitas – bref, en ces temps où faut faire attention avec l’argent, celui qui n’a pas encore disparu d’un fatal coup de baguette magique à Wall Street, voilà un artiste, Axl Rose, leader/penseur/dictateur du groupe Guns n’ Roses , avec sa réputation de dérangé niveau Ligue des Champions, souffrant, à ce qu’on prétend, de pychose maniaco-dépressive (on appelle ça un “trouble bipolaire” de nos jours), voilà un type donc qui a fait cracher à la sociéte Geffen Records, sa maison de disques, 13 millions de dollars au bassinet… pour un album qui bon an mal an aura pris 14 années à être complété, ficelé et publié !
Axl est paraît-il très attentif au moindre détail dans son travail, un obsédé grave de la perfection, voyez-vous… Alors, pour faire du bon boulot convenable, eh oui, ça prend bien 14 ans de frais de studio, avec pléthore de musiciens et producteurs embauchés puis virés. Dans la jaquette intérieure du disque, la liste exhaustive des collaborateurs au projet est longue comme le bras. 14 ans de tergiversations, de tension, de calme relatif, de disputes, de combat, de progrès, de recul, de bruit, de repli, de mutisme, avec un peu de musique enregistrée et mixée de temps en temps. Un long accouchement sans péridurale. Axl qui n’est pas pingre a même sorti 7 millions supplémentaires de sa propre poche pour sauver le projet du naufrage complet au moment où les pontes de Geffen Records sentaient confusément, mais vraiment confusément, juste une vague impression furtive, qu’ils étaient en train de financer un Titanic rock ‘n’ rollesque. Ca me le rend sympathique, Axl, son côté folie des grandeurs à la Howard Hughes. Dans le fond, il a l’air de s’en foutre royalement du fric, c’est un artiste, un poète, un vrai. Un homme qui a berné des zozos en costard diplomés de business schools - qui leur a extorqué 13 millions de dollars ! - celui-là est un sage à sa façon, non ?… un peu comme Lou Reed qui en son temps réussit à convaincre sa maison de disques de financer un double album de bruit informe produit par des guitares jouant seules, posées près d’énormes amplis, le tout avec le volume poussé à bloc. Axl a bille en tête son projet, son oeuvre, le grand oeuvre, l’obsession d’une vie, une maladie sérieuse qui ne le lâche pas, peu importe le prix, peu importent les années, la souffrance, les blessés, les morts. Vu qu’Axl est troublé bipolaire, de toute façon rien de sérieux ne peut se concevoir à ses yeux sans douleur infernale, enfin je suppose… A la fin, seule l’Oeuvre compte, de celles dont sont capables ces Américains qui voient grand, trop grand, jusqu’à l’absurde et la chute. Mais, ce sont ces Américains-là dont on parle encore bien des années plus tard… tiens même, certains d’entre eux, on les aime, on les craint aussi… des barrés baroques, de la chair à histoires ces gens-là, qui font les Etats-Unis, un pays où l’on fait beaucoup d’histoires.
En plus, question rentabilité et perspectives d’avenir de ce projet enfin abouti, maintenant faut voir… L’album sort en CD à une période où tout part en sucette, c’est la crise, financière, mondiale, globale… et 14 ans plus tard, tout le monde télécharge désormais illégalement sa musique au lieu d’acheter ces bons vieux CD. Et puis, le titre de l’oeuvre… Génial, le titre ! Chinese Democracy. En conséquence de quoi, le gouvernement chinois a sans surprise banni l’album de l’Empire du milieu. Tout le marché chinois perdu, envolé, pfuit !… Des milliards de consommateurs ! C’est pas la classe, ça ? C’est pas rock ‘n’ roll ?… TOUT LE MARCHE CHINOIS ! Ils oseraient pas faire pareil chez Google, Total et autres multinationales sur le qui-vive, pétochardes dès qu’on sussure le mot “Chine” à leur oreille tremblante, courtisanes cupides rivalisant de tapis rouges, ronds de jambe, champagne et petits fours dans les ambassades et salons commerciaux de Pékin, Chang-hai et tutti quanti. Axl lui s’en balance de ces foutus motherfuckers de pseudo-cocos ultralibéraux du gouvernement chinois et de ses parts de marché envoyées à dache.
Résultat: aux dernières nouvelles, l’album (qu’il va bien falloir que j’écoute un jour ou l’autre) ne cartonne pas autant que prévu. Bon, une évolution plus heureuse n’est pas à exclure, mais pour le moment, les experts en marketingue de Geffen Records ont calculé dans Excel les bénéfs prévus, et là ils font grise mine, particulièrement parce qu’Axl n’a pas participé à la promo de l’objet. Visiblement, y a pas eu de plateau télé, pas de sempiternelle question débile posée entre deux pages de pub : “Alors Axl, quelle est votre actualité ?” Sa dernière conf de presse date de 1994 ! Sur le site de Wikipédia, il est écrit qu’il n’a pas donné de signe de vie depuis au moins deux mois, il ne répond pas aux coups de fil, rien.
Commentaires récents